CHARLES XII

CHARLES XII
CHARLES XII

Charles XII porta d’abord la Suède-Finlande à son plus haut degré de puissance, pour la précipiter ensuite dans la décadence. Il infléchit vers un despotisme à l’orientale l’absolutisme qu’avait institué son père, Charles XI, dans ce pays traditionnellement attaché à ses libertés: il épuisa toutes les ressources de l’État suédois dans un effort désespéré pour conserver l’empire baltique fondé par Gustave Adolphe.

La Suède à l’avènement de Charles XII

Élevé dans les camps par son père, il s’enthousiasma à la lecture de récits et de contes guerriers, telles la Vie d’Alexandre de Quinte-Curce et les sagas scandinaves, ainsi qu’au souvenir de l’épopée du Grand Gustave et de ses capitaines pendant la guerre de Trente Ans. Rêvant de devenir un héros à son tour, il chercha la gloire dans la carrière des armes, la plus prestigieuse dans cette société fondée sur la race et l’épée. Il s’adonnait avec violence à tous les exercices physiques, à la chasse à l’ours, afin de se forger ainsi le corps d’un paladin du Nord, insensible aux intempéries, et acquérir un stoïcisme à l’antique. D’une nature renfermée et secrète, il ne se confiait à personne; chez ce luthérien à la foi profonde, le dogme de la prédestination renforçait la croyance en un destin d’exception.

En avril 1697, il héritait d’un vaste empire circumbaltique, avec l’embouchure des grands fleuves allemands et une ouverture par Brême sur la mer du Nord. La puissance de la Suède, pays relativement pauvre en ressources et en hommes (1 500 000 habitants, Finlande comprise), reposait sur le monopole du cuivre et surtout du fer qu’elle détenait en Europe, sur le rôle commercial de la Baltique ainsi que sur les produits forestiers indispensables aux constructions navales. L’industrie métallurgique du Berslag alimentait ses armements. Les grains de Livonie et de Scanie suffisaient à sa consommation et fournissaient même, parfois, un surplus négociable. L’année 1697 fut pourtant marquée par des famines et des épidémies. Depuis 1680 environ, la Suède avait, par les mesures dites de la réduction des biens, reconstitué le patrimoine territorial de la Couronne et rétabli dans leur statut économique et social les paysans libres et propriétaires, élément indispensable à l’équilibre des quatre ordres représentés à la Diète. Sur les terres de la Couronne reprises à la noblesse, la monarchie des Vasa avait pu cantonner les troupes de milice – 55 000 soldats-paysans – fournies par la levée dans les villages du dixième des paysans et entretenues par eux. Cette armée territoriale et nationale, l’indelta , formait des unités provinciales disposées autour des terres des officiers. En revanche, les forteresses étaient gardées par des mercenaires. Au début du règne, 80 p. 100 des officiers étaient issus de la noblesse ancienne ou anoblis par le service du roi. De même, la majorité des fonctionnaires, en particulier dans les hauts emplois, appartenaient à la noblesse; mais déjà les nouveaux nobles, les universitaires formés à Upsal, à Abo, à Dorpat, à Greifswald se hissaient jusqu’aux postes de responsabilité. Près de la moitié des maîtres de forges étaient nobles ou anoblis et les armateurs en voie de le devenir.

Conseillé par Piper, Charles XII dut renouveler les traités qui unissaient la Suède aux puissances maritimes, grands intermédiaires du commerce baltique qu’il était expédient de ménager; puis il contracta une nouvelle alliance avec Louis XIV, la monarchie suédoise, toujours nécessiteuse, ne pouvant se passer des subsides de Versailles. Mais le mariage de sa sœur aînée, Hedwige-Sophie, avec le duc de Holstein-Gottorp, en 1699, ranimait le vieux différend dynastique avec le Danemark et augurait ainsi de longues difficultés ultérieures.

La coalition de 1700 et les succès suédois

Les voisins de la Suède – l’électeur de Saxe et roi de Pologne, Auguste II, le roi de Danemark-Norvège, le tsar Pierre Ier et le Brandebourg-Prusse – comptaient sur les difficultés de Charles XII, monarque de dix-sept ans, à peine sorti de la tutelle de la régence, pour évincer la Suède de la Baltique et la chasser de ses têtes de pont, en profitant du mécontentement qu’avait suscité dans la noblesse balte les dures mesures de la Réduction. Un gentilhomme livonien, Patkul, fut l’âme de cette coalition dont les appétits divers faisaient une alliance mal coordonnée.

Auguste II ouvrit les hostilités, dès février 1700, en assiégeant Riga, le principal port exportateur des grains, des textiles et des bois livoniens, tandis que Frédéric IV de Danemark envahissait le Holstein, qui représentait le trait d’union entre la Suède et ses possession d’Allemagne. Cette grande guerre européenne, qui commençait en même temps que celle de Succession d’Espagne, devait durer plus longtemps encore et ne s’achever qu’en 1721. Les débuts de Charles XII dans la grande guerre du Nord furent foudroyants. Il fit preuve d’éminentes dispositions militaires, d’une étonnante maîtrise de soi, d’un coup d’œil qui fit de lui le modèle des tacticiens de son temps, toutes qualités dues non pas à de longues études, ni même à des expériences réalisées sous l’égide des maîtres étrangers, comme ce fut le cas pour Gustave Adolphe, mais à une confiance absolue dans le Blitzkrieg , la marche à l’objectif et la destruction de l’ennemi. Celle-ci s’opérait essentiellement par le recours aux armes blanches telles que la pique, puis la baïonnette d’infanterie et la latte de cavalerie; le corps à corps était livré par une infanterie formée en colonnes, soutenue et parfois précédée par la cavalerie qui, elle, chargeait sans tirer. Le roi de Suède était persuadé que Dieu favoriserait ses armes et celles de son peuple, inspiré par l’Évangile et galvanisé par la théorie du gothicisme qui en faisait un peuple élu, destiné à servir de tuteur aux autres; la Suède ne faisait donc pas la guerre dans le but immédiat d’élargir ses frontières: satisfaite de ses conquêtes, qu’elle s’était efforcée d’assimiler à sa culture latino-scandinave, elle entendait les conserver pour en vivre et assurer sa sécurité.

Avec l’appui naval anglo-hollandais, Charles XII s’en prit d’abord à l’aile occidentale de la coalition. Une descente en Zeeland menaça Copenhague et obligea le Danemark, par le traité de Travendhal, à rendre le Holstein (18 août 1700). De son côté, par l’entremise des Hollandais, le roi de Pologne leva le siège de Riga. Ayant traversé la Baltique, Charles XII se tourna contre les Russes qui assiégeaient le port important de Narva et, avec moins de 9 000 hommes, défit plus de 40 000 ennemis, victoire qui eut un grand retentissement en Europe (30 nov.). Ce fut ensuite le tour de la Pologne: Auguste II pourchassé jusque dans ses possessions de Saxe, dut signer le traité d’Altranstädt (sept. 1706) par lequel il renonçait à la couronne polonaise au profit de Stanislas Leszczynski que Charles XII avait fait élire à sa place dès juillet 1704. Patkul paya sur le billot sa félonie.

Les richesses agricoles et métallurgiques de la Saxe permirent de reconstituer l’armée caroline, d’approvisionner les magasins, de remonter la cavalerie et de prélever une lourde indemnité de guerre en or. Près de Leipzig, le roi de Suède faisait figure d’arbitre de l’Europe. Toutes les puissances le redoutaient et recherchaient son alliance. Garant de la paix de Westphalie, il obligea l’empereur à la tolérance envers ses coreligionnaires silésiens. Sourd aux sollicitations de l’envoyé de Louis XIV, Besenval, comme à celles de Marlborough, Charles XII entendait maintenir l’équilibre entre les coalisés, pour jouer, peut-être à la manière de Charles XI, un rôle de médiateur. Mais il fallait en finir avec les Russes restés fort menaçants.

L’échec en Ukraine et l’exil en Turquie

La déconcertante facilité de ses succès n’avait fait que confirmer sa foi inébranlable en sa supériorité et sa fortune. Rien ne pourra arrêter sa marche contre les «Barbares de l’Est»; sûr de ses carolins comme de lui-même, il méconnaît la force de résistance, le courage patriotique de l’adversaire. Pourtant, Pierre Ier à déjà reconstitué ses armées et profité de l’absence de Charles XII pour conquérir les provinces baltiques, fonder Saint-Pétersbourg, capturer Narva et ravager la Finlande.

Avec seulement 43 000 hommes, le Suédois se jette à la conquête de l’immense empire. Devant ce raid vertigineux, Pierre Ier utilise habilement les ressources géographiques du pays, se retire, pratiquant la tactique de la terre brûlée, livrant des batailles de retardement. Charles XII franchit le Niémen, enlève d’assaut Grodno, fonce dans la forêt de Minsk, passe le Dniepr et atteint Smolensk. De là, sans attendre l’armée de renfort du général Lewenhaupt, se fiant aux promesses de Mazepa, l’hetman des Cosaques, il s’engage dans la riche Ukraine pour s’y ravitailler, refaire ses forces puis gagner Moscou. Mais, sur ses arrières, Pierre Ier a battu Lewenhaupt qui ne rallie son roi qu’avec les débris d’une armée. Le grand hiver de 1708-1709 qui décime les troupes, les constants assauts des Cosaques et des Kalmouks ne décourageront pas Charles XII qui tente d’emporter les retranchements de Poltava pour s’emparer du magasin de vivres. Le 8 juillet 1709, blessé la veille, il ne peut empêcher la destruction par l’artillerie russe d’une partie de son armée, et la capitulation de l’autre, le lendemain, sur le Dniepr. Traqué, il doit trouver refuge en Turquie où il restera cinq ans. Le mythe de l’invincibilité suédoise était ruiné. La Russie s’imposait désormais à l’Europe. À Bender, cependant, Charles XII dresse des plans pour reprendre avec les Ottomans la lutte contre le tsar et ses alliés. Mais les succès turcs sont sans lendemain. Charles XII est au centre d’un réseau d’intrigues de sérail et doit se défendre pour ne pas être livré à Auguste II, rétabli sur le trône de Pologne. Malgré tout, de Turquie, il prétend continuer de gouverner la Suède. Il dirige le Conseil d’État, impose des taxes de guerre et de nouvelles levées d’hommes, recrutés de dix-huit à cinquante ans. Il prépare des réformes administratives et financières, remplaçant les redevances en nature par des versements en argent, prévoyant des impôts nouveaux sur le commerce et les manufactures, à la suite de discussions avec Feif sur les théories des caméralistes. Il désigne Polhem pour diriger la manufacture de fer de Stiernsund et n’oublie pas ses comédiens ordinaires français. Contre son gré, le Riksdag, dominé par la noblesse, s’est réuni en 1713; on songe à faire la paix, avec un plan de neutralité des puissances maritimes. Le roi n’accepte aucun compromis, aucune cession territoriale. En novembre 1714, il s’échappe, arrive à Stralsund. L’espoir renaît en Suède.

Les derniers feux de la grandeur suédoise (1714-1718)

Pendant un an, le roi tentera vainement de sauver la Poméranie contre les armées coalisées du Danemark, de la Prusse, de la Saxe, tandis que la flotte britannique l’empêche de recevoir des renforts, l’électeur de Hanovre, roi d’Angleterre, ayant pris possession de Brême et de Verden. Charles XII se rend alors à Lund d’où il anime la défense. L’armée est maintenant commandée par des officiers dont les deux tiers ne sont pas nobles et qui, sortis du rang, sont d’une fidélité inébranlable. D’autre part, Charles XII bénéficie des conseils politiques et économiques d’un aventurier, le baron de Gœrtz, diplomate et financier holsteinois. Il est également assisté des savants Polhem et Swedenborg. La Suède fut sauvée de l’invasion par la désunion des coalisés. Gœrtz tenta de tirer parti de leur mésentente pour obtenir une paix séparée avec les Russes aux conférences d’Aland. Sa monnaie remplaça les lourdes pièces de cuivre et il émit des billets de banque comparables au système de Law. Ses vastes projets comportaient la conquête de la Norvège, conquête déjà commencée par Charles XII, des relations secrètes avec l’Espagne par le canal des jacobites en vue d’une ligue du Nord dirigée contre le Hanovre et le Danemark. Cependant, devant Friedrikshall, au sud-est de la Norvège, Charles XII fut mortellement blessé, dans des circonstances mal définies, le 11 décembre 1718, laissant un peuple décimé et un pays ruiné, qui devra bientôt reconnaître la perte de son empire et répudier l’absolutisme au profit d’un gouvernement aristocratique.

Charles XII, cet aventurier belliqueux, fasciné par la gloire, reste une figure discutée. Ses anciens compagnons, tel Folard, ses laudateurs, dont Voltaire ou Samuel Johnson, ont forgé une légende caroline qui transcende le personnage historique. La Suède conserve pour «le dernier des Varègues» et son épopée une grande admiration : elle y voit un tacticien aussi exceptionnel que dépourvu du sens du possible.

Son invasion de la Russie de Pierre le Grand et son échec qui préfigure ceux de Napoléon et de Hitler représentent l’épisode le plus marquant de ce règne qui inspira à Voltaire l’un de ses plus célèbres ouvrages historiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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